mardi 12 juin 2012

«CMMN SNS PRJCT», spectacle de Laura Kalauz & Martin Schick (SUISSE) : une des révélations à "Premières".



image courtesy of Dan Perjovschi 


Un dispositif théâtral comme une mise à nue du système capitaliste d'échange des marchandises et des idées. 
Sur le mode de «Il y a une chose que j’aimerai partager avec vous ce soir / There is somethig I’d like to share with you tonight», Laura Kalauz et Martin Schick mettent en place un dispositif théâtral, une performance autour de l’échange, du don, de la circulation des biens, de l’argent. De la propriété privée à la propriété intellectuelle. De la nature de nos relations entre bipèdes pensants.
Donner pour permettre et favoriser les échanges et le début de leur  monétisation. Puis vertige de cette circulation grâce au dispositif largement basé sur le jeu. Comme si le côté ludique stimulait la fluidité de la circulation, aidait à lever les freins jusqu’à frôler toutes les dérives possibles. 
Rapidement le travail de laboratoire laisse apparaitre les relations humaines en précipité d’expérience. Car là est bien l’enjeu de la pièce : ce qui nous relie les uns aux autres. Ce qui au fond perce derrière nos peaux, nos masques, une fois la surface grattée.



«L’humour ouvre des portes, il donne accès au monde et permet d’évoquer certaines choses ou de provoquer la réflexion sur des sujets auxquels on se fermerait dans un contexte sérieux ou d’orientation plus morale. 
Sacha Baron Cohen, un maître en la matière, en constitue, le meilleur exemple : maintenant je vais dire ce qu’on a normalement pas le droit de dire et j’en fais un film satirique.
C’est là qu’apparaît également le danger de la satire, lorsque celle-ci tend à devenir un divertissement gratuit ou se fige dans les structures mêmes ce que l’on chercherait à briser. 
C’est pourquoi je souhaiterais prendre mes distances vis-à-vis du genre humoristique et m’inscrire plutôt dans un «existentialisme comique», selon l’expression de Maurizio Cattelan» (propos de Martin Schick)

Au final cette question aiguillon : «Do I own my mind ? / Mon esprit m’appartient-il ?»
Site de Laura Kalauz et Martin Schick : http://www.kalauzschick.com

A signaler la création de «NOT MY PIECE» de Martin Schick le 3 juillet 2012 au Festival Belluard Bollwerk à Fribourg (Suisse) : http://belluard.ch/fr/festival-2012/not-my-piece-134/ 

lundi 11 juin 2012

Festival PREMIERES 2012, jeunes metteurs en scènes européens, proposé par le Maillon et le TNS à Strasbourg.


Pour la 7ème édition, Premières, accueillaient du 7 au 10 juin 2012, pour quatre jour de «marathon» théâtral, neuf spectacles, dont sept inédits en France, et vingt-deux représentations ; onze jeunes metteurs en scène, dont sept femmes, issus de huit pays d’Europe, nous offrant ainsi un panorama subjectif de la jeune création théâtrale dans ce territoire lui aussi en construction. 



Une proposition de Barbara Engelhardt, responsable de la programmation, 
avec Olivier Chabrillange et Bernard Fleury, pour le compte du TNS et du Maillon, théâtre européen à Strasbourg.
«Chaque nouvelle édition témoigne des mutations de notre temps, là où le théâtre dispose de structures de production et de soutien public différents, de réseaux professionnels et sociaux spécifiques. 
Premières rend compte d’une grande diversité européenne des propos, des formes, des sujets et nous force chaque fois à constater qu’en Europe, le repli n’est pas de mise : il y a bien un en-commun européen et le théâtre en est une perpétuelle matrice, un lieu indispensable pour comprendre son temps : se sortir de soi et écouter l’autre évoquer à peu près les mêmes choses, peut-être, mais dans une autre perception, une autre formulation car misant sur une autre couleur, comme on le fait au jeu. 
Premières est un jeu, où tout le monde profite de ce qu’apporte son voisin comme perception sensible du monde actuel». (extrait de l'édito par l’équipe du festival Premières)
Choix judicieux au regard des 7 pièces que j’ai pu voir dans ce parcours. Premier constat, la barrière de la langue est vite oubliée. Le surtitrage est une béquille efficace. Evidence certes, mais bonne à rappeler.

Deuxième constat : 5 pièces ont été des vraies découvertes dans des registres variés (théâtre à base d’adaptation, théâtre documentaire, performance,...). Une sixième manque encore un peu de travail dramaturgique et une seule déception.
Autant dire que cette immersion de quatre jours dans le festival Premières a été une expérience heureuse, stimulante, revigorante ! 

Les 5 pièces enthousiasmantes :


«CMMN SNS PRJCT», spectacle de Laura Kalauz & Martin Schick (SUISSE)
http://www.festivalpremieres.eu/edition/spectacle/499/cmmn-sns-prjct

Sur le mode de «Il y a une chose que j’aimerai partager avec vous ce soir / There is somethig I’d like to share with you tonight», Laura Kalauz et Martin Schick mettent en place un dispositif théâtral, une performance autour de l’échange, du don, de la circulation des biens, de l’argent. De la propriété privée à la propriété intellectuelle. Et évidemment le véritable enjeu : les relations humaines. 

Site de Laura Kalauz et Martin Schick : http://www.kalauzschick.com

«Magnificat», spectacle de Marta Górnicka (POLOGNE)
Un choeur de femmes polonaise. «Le chœur de femmes - le choeur moderne tragique” / “Tout en critiquant la langue, outil du pouvoir, j’essaie de trouver une langue nouvelle pour la parole féminine” (Marta Gornicka). Travail au cordeau. Politique et poétique. Quasi chorégraphique. Un ensemble de femmes où chacune garde sa personnalité. Un très grand moment.

A écouter : l'interview de Kaja Stepkowska, dans l'émission "Aux premières loges" sur Radio Bienvenue Strasbourg. Kaja Stepkowska, qui a travaillé pour la radio polonaise, fait partie du choeur de femmes où elle donne le "la" :
Site du Chór Kobiet : http://www.chorkobiet.pl/en

«ArabQueen or the different life» d’après le roman de Güner Yasemin Balci / Nicole Oder (ALLEMAGNE)
Sur un sujet pourtant un peu «élimé» (la situation de la femme dans certaines familles musulmanes / choisir entre tradition et modernité), un écriture et une dramaturgie impeccables. Les personnages sont incarnés bien que traités par petites touches légères. Un spectacle plus que réussi servi par trois comédiennes, Inka Löwendorf, Tanya Erartsin et Sasha Ö. Soydan, et une mise en scène enthousiasmantes :  !! 
Nicole Oder fonde en 2007 le théâtre indépendant Heimathafen Neukölln à Berlin. Elle y met en scène la trilogie «Neukölln», d’après le quartier du même nom. «ArabQueen» en est, après «ArabBoy» et «Sisters», le dernier volet.
Site du Heimathafen Neukölln : http://www.heimathafen-neukoelln.de

«Mahabharata», spectacle de Marjolijn van Heemstra (PAYS-BAS)
Le récit d’une quête issue de la découverte du «Mahabahrata», le film de Peter Brook, par les deux protagonistes. Ils avaient 9 ans quand l’une en Hollande, l’autre en Inde, ont découvert le film en même temps, ressentis là même sensation à des milliers de km. Puis l’envie, 20 ans après, de se confronter à ce souvenir et à l’utopie convoquée par Peter Brook à travers sa vision du «Mahabahrata».
«La question est de savoir si nous sommes capables ou non de dépasser nos conceptions individuelles, pour parvenir à une histoire universelle. Une vision partagée, un moyen de vivre ensemble, avec moins de conflits.»
Marjolijn van Heemstra
Outre la qualité de jeu des deux comédiens, la force du spectacle réside aussi dans le fait qu’il intègre dans son propos même les conditions et l’environnement de sa création. Mettant à nu, avec humour et sans concessions les contradictions du projet initial. Revigorante mise en abîme... 

«Le Journal d'un fou» d’après Nicolas Gogol / Tufan Imamutdinov (RUSSIE)
Une vision en apesanteur de la situation du personnage principal dans le texte de Gogol. Avec peu de moyens mais beaucoup d’imagination et une troupe de comédiens épatants. Peu dire ! jeu au cordeau, quasi chorégraphique). Très vite s’installe un espace mental instable. Une façon juste et poétique d’évoquer le basculement dans une autre réalité. Et non sans humour.


Une pièce avec un bémol..

                   photo prise avant le début du spectacle. Une des comédiennes attend le début en compagnie d'une des hôtesses d'accueil du théâtre.


«Subjekt: Kohlhaas» d'après la nouvelle Michael Kohlaas de Heinrich von Kleist / Christian Valerius (SUISSE)




Belle cohésion de troupe de comédiens et une comédienne qui se démarque, mais l’écriture et la dramaturgie nécessite peut être encore un peu de travail... La relecture proposée du texte peu connu en France de Kleist mérite qu’on s’y penche.



Et une pièce décevante, malheureusement...

Szóról Szóra (Mot pour mot), spectacle collectif de PanoDrama (HONGRIE)
La déception : pourtant j’étais attaché au sujet. La situation réservée aux roms et aux tsiganes en Hongrie, autour d’un fait divers meurtrier. L’enquète menée est passionnante, mais le traitement dramaturgique peu convaincant pour moi. Au final un objet de théâtre documentaire trop plat et peu stimulant. Loin de ce que faire RIMINI PROTOKOLL par exemple...

(a. w. // photos D.R.)

mardi 5 juin 2012

Jeff Koons à la Fondation Beyeler à Riehen-Basel.




Retour à la Fondation. Je n’y étais retourné depuis l’exposition somptueuse consacrée à Bonnard en février. Chaque retour est toujours empreint d’impatience. Plus qu’un musée ou un lieu, la Fondation Beyeler est un havre de beauté et de stimulation depuis bien des années. Outre une collection exemplaire, la Fondation a le sens des expositions temporaires, souvent des propositions singulières. Profitant à chaque fois pour recomposer, repenser, la présentation de la collection permanente.
Après Bonnard, l’exposition de «l’été» est consacré à Jeff Koons. La première exposition consacrée à l’artiste en Suisse. Une exposition qui sent bon le marché de l’art à quelques jours de ART BASEL (14 au 17 juin 2012) et l’exposition populaire pour la saison estivale.
Autant je me réjouissais de passer une nouvelle après-midi à Beyeler, autant la perspective de cette exposition consacrée à Jeff Koons ne m'enthousiasmait guère. A priori. Se méfier toujours des à priori...


En arrivant, dans le Berower Park de la fondation, impossible de rater «Split-Rocker» (2000-2012), gigantesque sculpture florale, jardinière fascinante et quelque peu monstrueuse. Mi poney, mi dinosaure. Elle se dresse à la place où habituellement danse lentement le stabile acier noir mat tranchant de Calder (actuellement en restauration). 
Là tout n'est que rondeur, explosion de couleurs, de volumes. Presque tout. La tête est en fait deux deux têtes coupées, réunies mais disjointes, laissant apparaître un ruban d'acier miroir. Éclair lumineux qui tranche sur le volume rond rassurant. 
Dans l'air le parfum des milliers de fleurs est entêtant. 
Du kitsch plus grand que nature qui bataille avec le paysage alentour et donne le ton. La sculpture serait parfaite dans une Landesgartenschau (genre de compétition annuelle de villes fleuries puissance dix en Allemagne).
Mais déjà la sculpture dégage quelque chose de monstrueux...
Et cette sensation s’installera tout au long de la visite.


Si je reste peu sensible à la série des porcelaines («Banality»), celle des débuts «The new», ready made d’aspirateurs dans des caissons en plexi sur néons blancs, et la récente série «Celebration» me titillent. Séduit, certes, mais pas que... J’aime la fausse simplicité et la force que dégage «The new». Une brutalité tranquille et vibrante d’objets du quotidien. Célébration déjà. Inquiétude déjà. Sensation qui s’insinue dans toutes les oeuvres de «Celebration». L’exagération des sculptures à partir d’objet quotidien (souvent liés à l’enfance ou des souvenirs d’enfance), jusque dans la perfection de leur réalisation, séduisent et inquiètent en même temps. 





Ambivalence des émotions suscitées par les œuvres de Jeff Koons. 
En vrac : enfance / adulte. Innocence / culpabilité. Eros / Thanatos. Vie / mort. Joie / tristesse. Pur / impur. Légèreté / poids. Rassurant / inquiétant. Phallique / vaginal. Etc.
La sélection d’oeuvres et le parcours d’exposition proposés par les commissaires d’exposition dégagent en partie Jeff Koons des étiquettes qui font (parfois à juste raison) sa réputation. Laissant émerger des aspects plus noirs que ceux auxquels je m’attendais. Assez fascinant dois-je dire...


"L'artist talk avec Jeff Koons", jeudi 14 juin 2012 à la Fondation Beyeler, affiche complet. Espérons qu'elle sera visible ensuite sur le site de la fondation comme nombre des rendez-vous proposés...


Fondation Beyler, juin 2012, suite de la visite...
Une nouveauté : la Calder Gallery. 
La Fondation Beyeler s’engage dans une coopération de plusieurs années avec la Calder Foundation de New York. Des œuvres appartenant à la Calder Foundation seront exposées dans une série de mises en scène, la « Calder Gallery ». Il s’agit d’établir à la Fondation Beyeler une présence permanente, unique en Europe, d’œuvres du grand artiste américain Alexander Calder (1898–1976) et d’apporter une contribution à l’étude de son œuvre. 
La première « Calder Gallery » est un hommage à Mary Calder Rower, la plus jeune fille d’Alexander Calder, décédée l’année dernière.
Belle unité de présentation. Une sélection cohérente centrée sur l’expérience du temps. Je reste longtemps, notamment, à regarder un mobile devant un tableau blanc (le titre m’échappe...) !
Le reste du musée (partie avant) a été réorganisé à l'occasion de l'exposition Jeff Koons. Choix d'oeuvres de la collection Beyeler. Une salle Piet Mondrian, une salle Paul Klée (splendide ensemble !!!!!!!), une salle Rothko (non moins somptueuse) avec notamment des prêts de la Daros Collection de Zürich.
Je reste cela dit toujours sceptique sur la présentation commune de Rothko et de sculptures de Giacometti. 
Suivent une «petite» sélection de Picasso, Braque et Barnett Newman extraite de la collection Beyeler. 
"Nymphéas" de Monet a retrouvé sa place idéale en dialogue par la baie vitrée avec l'étang devant le musée. Idem pour "Le pont japonais" qui a juste changé de mur. Bonne idée d'ailleurs. 
Quelques sculptures d'Océanie ont refait surface. Cette fois dans une salle avec une toile du Douanier Rousseau, un buste de Picasso, un Van Gogh et deux Cézanne. 
J'avoue que ce musée continue à me surprendre à chaque visite. Il est perpétuellement en mouvement. Plus ou moins à mon goût. Le plus souvent il l'est. Aujourd'hui je dois dire que ce fut encore le cas. 
Belle proposition d'accrochage autour de l'exposition Jeff Koons. L'ensemble du lieu respire et les toiles se répondent. Même si les styles sont très différents le dialogue finit par naître.

Toutes les photos : alain walther D.R. Pas d'utilisation commerciale, ni reproduction, sans autorisation. Merci.

Pour toutes les oeuvres représentées, droits réservés : Fondation Beyeler, artiste et prêteurs. Toute utilisation est interdite sans demande préalable à la fondation.


lundi 4 juin 2012

Jean Tinguely : "Et j'aime pas l'art !"




"Le mot "art" fait son apparition en plein milieu de la Renaissance. Aucune notion d'art ni chez les Egyptiens, ni chez les Mayas, ni chez les Indiens, les chinois, les Grecs... Elle a été inventé il y a 350 années. On a fait une vaste escroquerie avec ça ! Je trouve qu'il y a un mot qui est mieux : c'est la poésie. Le mot "poétique" est beau parce que c'est au fond un mot étonnant, parce qu'il veut dire "vivre", simplement. Et ça, ça me va. Mais le mot "art" c'est de la cochonnerie. C'est beurk…

Il faut savoir que si on se fait payer pour ça, on est une pute. C'set comme si on le détruisait. Le vendre c'est le détruire. Et le vendre très cher c'est le détruire encore plus. Et quand c'est encore plus cher, quand ça vaut 300 millions de dollars, vous pouvez le mettre à la poubelle. Il n'y a plus rien. Et quand il n'y a plus rien, plus de poésie, il n'y a plus qu'un paquet de fric. Et c'est détestable ! Et j'aime pas l'art !"


Propos de Jean Tinguely, extrait du film documentaire "Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely", un film de Louise Faure et Anne Julien (2010).
Diffusion Arte en juin 2012.



Comment ne pas raide dingue aimer ces deux lascars : Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely !